Tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens

Sac de Béziers

 Nous connaissons tous cette phrase célèbre, liée depuis des siècles à notre ville : Pendant le sac de Béziers, en 1209, le légat du Pape Innocent III, Arnaud Amaury, consulté sur ce qu'il y avait à faire des catholiques mêlés aux hérétiques dans Béziers, aurait répondu : "Tuez-les tous; Dieu connaîtra bien ceux qui sont à lui".
 (La phrase exacte : "Caedite eos. Novit enim Dominus qui sunt eius" se traduit plutôt par : "Massacrez-les, car Dieu connaît les siens")

 Pourtant,cette phrase n'est citée par aucun des auteurs présents sur les lieux, tel Pierre de Vaux-Sernei. Elle apparaît, pour la première fois, dans les écrits du moine Pierre Césaire de Heisterbach, religieux de l'ordre de Cîteaux du monastère d'Hesterbach près de Bonn.


 En 1219 et 1223, à deux cent lieux du pays qui en avait été le théâtre, celui-ci composait, dans son diocèse de Cologne, douze livres ridicules "Illustrium miraculorum et historiarum memorabilium" (parus dans leur première édition, en 1481, sous le nom de "Dialogi de miraculis") où il relate, sous forme de dialogue, l'évènement (entre autres).
 Le contenu fantaisiste de ces ouvrages démontre le peu de sérieux de cet auteur. Par compassion, on pourrait penser qu'il a eu le tort de croire trop légèrement des gens peu dignes de foi. Pourtant, les énormes inepties qui jalonnent ses ouvrages laissent plutôt penser à un esprit perturbé - ou peut être à un abus de potions hallucinogènes...

Toutefois, une autre explication laisse présager que ces ouvrages s'inscrivaient plutôt dans "l'air du temps" : en effet, Césaire, obsédé par le Diable, considère les Albigeois (les Cathares) comme des suppots de Satan.

 Il s'attache à démontrer leur hérésie en maquillant les faits réels. Par exemple, il rapporte que les hérétiques, voyant les croisés arriver, "urinèrent sur le livre du sacré Evangile, le lancèrent du haut des remparts de Béziers en direction des Chrétiens et, après lui avoir décoché des flêches, crièrent "Voilà votre loi, Misérables !".

 Pourtant, seul Pierre des Vaux-de-Cernay, auteur de "Histoire Albigeoise" en 1213, relate un évènement de ce type : "Une nuit, vers le point du jour, un prêtre de cette ville se rendait à l'église pour y célébrer la messe : ils saisirent le prêtre, le frappèrent avec une extrême brutalité et le blessèrent gravement en lui cassant le bras. Ils prirent ensuite le calice, le découvrirent et urinèrent dedans, au mépris du corps et du sang du Christ.". Cet évènement n'est toutefois pas lié au jour de la prise de Béziers.

On se rend alors compte que Césaire utilise deux évènements, attestés mais indépendants, en les reliant entre eux pour mieux asseoir sa propagande contre l'hérésie Cathare.

 Bref, même si de fameux auteurs Français ont repris ses dires, l'évocation de cette phrase - dont l'origine biblique ne fait pas de doute : Timothée 2.19 ou Nombres 16.5 - semble être un pur produit de l'imagination de Césaire, de la même sorte que certains diables qu'il décrit, jouant au foot avec des âmes roulées en boule...