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Il y a moins de deux siècles, sévissait le très célèbre voleur de grands-chemins : Jean Pomarèdes.
Il est né à Caux le 7 avril 1801 (voir son acte de naissance) d'une famille de cultivateurs assez aisée. Très tôt, il se révéla être un enfant turbulent, voire violent, n'obéissant qu'à son père.
A sa majorité, il hérita de plusieurs biens familiaux (maison, 4 champs, 6 vignes, oliveraies) représentant une valeur de plus de 10.000 francs, ce qui, pour l'époque, représentait une somme rondelette (un ouvrier agricole gagnait 1 franc par jour).
Après son mariage, en 1830 à Fontès avec Jeanne Rouyre (voir son acte de mariage), ses affaires commencent à décliner : il avait acheté, avec son beau-frère, une grosse quantité d'alcool de vin et de marc (le trois-six) espérant faire une plus value non négligeable.
Cependant, il subit de plein fouet la concurrence d'un alcool de betteraves fabriqué dans le nord de la France qui se vendait trois fois moins cher. Pour remonter ses finances, il vendit les biens de la dot apportée par sa femme, mais cela ne suffit pas à payer toutes les dettes.
Son beau frère, Félix Rouyre, et lui décidèrent alors de spéculer sur l'immobilier. Il y avait justement, entre Puisserguier et Maureilhan, le domaine de Lussau, réputé pour la qualité de ses vignes, à la vente. Ils se rendirent sur place et en firent l'acquisition pour 38.500 Francs. L'argent dont ils disposaient permit juste de couvrir les frais de notaire et d'enregistrement mais ils réussirent à obtenir un crédit pour le restant de la somme. Ils pensaient pouvoir revendre rapidement cette campagne mais, malheureusement, ce ne fût pas le cas et il fallût faire face à la première échéance.
C'est à partir de ce moment-là, que Pomarèdes débuta sa vie de brigand.
Son premier larcin se fit sur le dos d'un de ses employés : le berger de Fontès qui lui gardait ses chèvres et moutons.
Un soir d'hiver, alors que celui-ci venait à Caux chercher son salaire mensuel, Pomarèdes simula être atteint de l'influenza (le nom d'une bonne grippe pour l'époque) et reçu le berger entre plusieurs quintes de toux.
Il lui remit son salaire et le laissa partir. Notre berger pris alors la route du retour vers Fontès, situé à une lieue de Caux. Au bout d'un moment, il entendit le galop d'un cheval se rapprochant de lui.
Un homme masqué coiffé d'une casquette et armé d'un pistolet apparût devant lui et, braquant son arme sur lui, lui dit : "Donne-moi ton argent ou je te tue !".
Le pauvre berger s'empressa de remettre son argent et, après que l'homme ait disparu, il s'en retourna à Caux, pensant avoir reconnu la voix de son patron. Arrivé sur les lieux, il dit : "Maître, on vient de me voler mon argent et l'homme qui m'a attaqué avait votre voix !
Si je ne vous voyais pas là, au coin du feu, je croirais que c'était vous !".
Pomarèdes lui répondit : "Tu vois bien que je suis malade, que j'ai la fièvre et que je ne peux pas sortir par ce temps très froid, mais tu sais, à notre époque, les routes ne sont pas sûres et il faut faire attention.". L'affaire en resta là, fautes de preuves, et les quelques 30 francs volés ne furent pas retrouvés.
Cette maigre somme, ne satisfaisant pas les besoins du bandit, il décida de tenter une escroquerie à l'assurance avec l'aide du beau-frère Félix : la veille de Noël 1836 dans l'église de Caux, il assistait, en compagnie de sa femme, à la messe de minuit quand le tocsin se mit à sonner. Des cris fusionnèrent : "Au feu, au feu, c'est la maison de Pomarèdes !".
Tous se précipitèrent au 11 rue de l'Evéché et effectivement, le feu était en train de ravager la maison. Malgré les doutes de certains, Pomarède avait un bon alibi. La maison était assurée dans une assurance de Béziers (Le Phénix) pour la somme de 5.500 Francs. Toutefois, l'assureur conclut à l'incendie criminel et ne paya que 2.400 Francs.
Cette somme n'arrangea pas encore notre ami et il entreprit d'attaquer les marchands qui revenaient des marchés avec le produit de leurs ventes.
Les premières tentatives ne furent pas trop fructueuses, mais, rapidement, il mît sa technique au point : Pour commettre ses vols, il prenait soin de se barbouiller le visage de noir, portait une fausse barbe et se coiffait d'une casquette plate et large dont le tissu reproduisait des côtes de melon.
Parfois, il portait un masque lui couvrant le nez et le haut du visage.
Il utilisait un fusil de chasse à deux canons ainsi qu'un révolver. Il portait en bandoulière une saquette de cuir (gibecière) d'où émergeait le col d'une bouteille noire. La nuit, il disposait sur la route des fagots debout, avec un bâton simulant une arme, laissant penser que l'attaque était due à une bande armée (le faible éclairage des véhicules de l'époque - la lanterne à bougie - permettait aisément le subterfuge).
Bien qu'il l'ait toujours nié, il semblerait que son beau-frère l'accompagnait parfois dans ces expéditions.
La technique d'attaque était simple : il surgissait devant ses victimes, l'arme à la main, en leur disant : "Baïlo me toun argent" (donne-moi ton argent) et se faisait remettre la bourse des pauvres marchands qui rentraient des marchés.
Il utilisait suivant, dans le coin où il opérait, un patois différent afin de cacher son origine caussinarde.
La première agression daterait du 15 décembre 1837, sur la route de Béziers à Capestang où, avec Félix, ils attaquèrent deux marchands de bestiaux qui s'en venaient de la foire de Béziers. Cependant, ces deux hommes se débattirent, voyant que l'arme des bandits s'était enrayée, et réussirent à filer en conservant leur bourse.
Les attaques continuèrent jusqu'en 1842 autour de Béziers, Autignac, Bédarieux, Clermont-l'Hérault, Florensac, Paulhan et Pézenas (d'où les soi-disant trous de Pomarèdes que l'on trouve ça et là).
De nombreuses personnes furent détroussées (pas toutes, sans doute, par Pomarèdes, car sous le règne de Louis Philippe, les bandes de brigands étaient monnaie courante et la notoriété d'un bandit à fausse barbe et casquette avait fait des émules...).
Durant cette période, trois attaques se terminèrent par la mort des victimes : la première le 24 juillet 1840, sur la route de Bouzigues, la seconde le 11 décembre 1840, sur la route de Bélarga et enfin le 16 décembre 1841 sur la route de St Géniès. La victime de ce dernier meurtre était un dénommé Carratier qui rentrait chez lui à Autignac, sur son cheval. Il venait de Béziers pour ses affaires et venait de retirer 3.000 Francs à la banque. Dans l'après-midi, il avait rencontré Pomarèdes, connaissance de longue date, et avaient déjeuné ensemble dans un restaurant des allées Paul Riquet. Lors de l'agression, vers 18h, il crût reconnaître la voix de son ami et celui-ci lui tira dessus.
C'est le cheval de Charles Carratier qui alerta les secours, mais avant de mourir, il eût le temps de désigner son meurtrier.
Pourtant, sans preuve, Pomarèdes ne fût pas inquiété. Les gens commençaient tout de même à jaser : au cours d'une attaque, Pomarèdes avait oublié son nouveau pistolet, récemment acheté à Béziers, sur les lieux de son larcin. De plus, les versements "cash" pour le crédit du domaine de Lussau laissaient des questions en suspends.
La dernière agression fût celle de Pierre Boularand "Cambacho" (jambon) qui venait de vendre, la veille, une vingtaine de cochons sur le marché de Béziers. Ce samedi 19 février 1842, il revenait tranquillement, à pied, en direction d'Hérépian. Vers 10 heures, au niveau du pont "Das Arenas", un homme coiffé d'une casquette surgit des fourrés et lui déroba, sous la menace, la ceinture où se
trouvait le produit de la vente soit 1.850 Francs et s'enfuit en direction du sud-ouest.
Cambacho cria "au voleur" et fût rapidement rejoint par un homme venant de Bédarieux. Ils alertèrent immédiatement les gendarmes. Pendant ce temps, Pomarèdes s'enfuyait en direction de Laurens où il fût aperçu par plusieurs personnes. Par prudence, il dissimula son butin dans un champ de seigle, sans se douter qu'il était observé. Les gendarmes, aidés de nombreux habitants de Laurens, avaient, de leur coté, organisé une battue. Entre temps, deux hommes surveillaient le lieu où était caché le butin et aussitôt que le bandit revint, il fut ceinturé et emmené manu militari au poste de Farniès où il fut mis en prison.
Deux gendarmes à cheval l'escortèrent ensuite jusqu'à la prison de Béziers et, de là, il fut transféré à la prison de Montpellier où devait se dérouler le procès. La première audience eût lieu le 25 novembre 1842. La foule s'était amassée devant le palais de justice, depuis l'aube, afin d'assister aux débats.
Les gens criaient "Il faut le guillotiner !", "A mort, à mort !".
Vers 10h, les portes du palais s'ouvrirent et les gens se ruèrent à l'intérieur. Dès que la salle fut pleine, on referma les portes et on procéda à l'appel des très nombreux témoins (256 !).
Pomarèdes, que l'on appelait depuis lors "la canalho de Caous" - la canaille de Caux - apparut vêtu d'une veste de drap marron, d'un pantalon bleu, d'un gilet de laine à carreaux rouges et bleus et coiffé d'une calotte en velours noir. Son teint était pâle et il avait l'air sombre. Il fut suivi de son beau-frère paraissant moins abattu, mais la tête basse et laissant échapper quelques larmes. Le greffier fit la lecture de l'acte d'accusation :
- un incendie volontaire,
- cinquante huit agressions,
- trente cinq tentatives de vol,
- cinq tentatives d'assassinat dont trois assassinats.
Le procès dura treize jours dans une ambiance survoltée et à l'issue duquel Pomarèdes reconnut quelques vols mais nia les trois meurtres : "J'ai été un voleur, mais pas un meurtrier", disait-il.
Il fut reconnu coupable de complicité dans l'incendie de sa maison, de trente cinq vols à main armée, de deux tentatives d'assassinat et d'un meurtre. Lorsque le Président lut le verdict "Pomarèdes, condamné à mort", ce dernier releva la tête, le visage blême. Il restait tout de même persuadé que n'ayant avoué aucun assassinat on ne pourrait le condamner à la peine capitale. Son complice, Félix, bénéficia de l'indulgence du jury et fut acquitté. A l'annonce du verdict, la foule explosa de joie et il fallut doubler le service d'ordre pour ramener Pomarèdes à la prison. En prison, il bénéficiait d'un traitement de faveur car, sur ordre du Préfet de l'Hérault, on lui avait attribué 2 francs par jour pour ses repas (ce qui était beaucoup pour l'époque) :
Matin |
Soir |
En fait, on voulait qu'il reste en bonne santé jusqu'au jour de son exécution... Cela ne l'empêcha pas de tenter par deux fois de se suicider. Il essaya, sur le conseil de son avocat, Maître Cazals, de demander sa grâce, par courrier, au président de la cour de cassation, mais le rejet de pourvoi lui parvint le 12 février 1843. Dés lors, on commanda la guillotine qui fut transportée en charrette jusqu'à Pézenas. Le jour de l'exécution fut fixé au Samedi 18 Février 1843 à Pézenas.
Dès que la nouvelle fut connue, toutes les routes menant au village furent prises d'assaut par piétons, voitures, chevaux et ânes. On ne pouvait même plus se croiser et il fallait marcher au pas.
Pomarèdes fut réveillé à 4 heures du matin. Après s'être confessé, il revêtit l'habit rayé et le bonnet noir des pénitentiaires. On le fit monter sur une charrette à bancs, accompagné de l'aumônier - l'abbé Cellier- tenant un crucifix à la main, d'un maréchal des logis et d'un gendarme.
Le cortège se mit en route sous les huées des Montpellierains : "A mort bandit, tu ne l'as pas volé !". Cela dura tout le long du chemin menant à Pézénas, si bien que l'on fit venir vingt-cinq hussards supplémentaires pour renforcer l'escorte. Arrivé sur les lieux, Pézénas était noir de monde.
Plus de 50.000 personnes se massaient autour du Planol Saint-Jean (l'actuelle place du 14 Juillet). Les affenages avaient été pris d'assaut, si bien que beaucoup de gens durent attacher leur cheval ou leur âne à un arbre, aux entrées du village.
La guillotine avait été montée sur la place, l'escalier de l'échafaud tourné vers l'hôtel des trois-six (face à la poste actuelle). Autour d'elle, un périmètre de 15 mètres était gardé par des soldats, baïonnette au canon et on avait laissé un passage, de 5 mètres de large, menant jusqu'à la prison où Pomarèdes se reposait le temps des derniers préparatifs.
Vers les 10h30, on le fit venir et monter sur l'échafaud. Le bourreau, qui venait de Perpignan, lui enleva son gilet et coupa le col de sa chemise.
Pomarèdes, ému, demanda une tasse de café. Il but la tasse et comme il restait un peu de sucre dans le fond, il le ramassa soigneusement avec sa petite cuillère et l'avala.
Puis, il demanda à sa femme de lui pardonner pour tous les tourments qu'il lui causait et se dirigea vers l'échafaud avec grand courage.
Il embrassa l'aumônier qui venait de lui retirer son bonnet, se débarrassa de sa veste d'un coup d'épaule et s'allongea sur la planche qui bascula aussitôt. Les cris de la foule cessèrent et il y eut un grand silence.
A 11h15, sa tête tomba sous le couperet (voir son acte de décès).
Le corps fut enseveli par les frères pèlerins de Pézénas, dans une fosse ouverte sur le seuil de la porte du cimetière. Au dessous de lui reposait déjà un guillotiné, nommé Hilaire, exécuté en 1815 et, par la suite, on y enterra aussi une demoiselle Rigal, dite "la Sainte".
Les journaux de l'époque en firent leurs gros titres et tout ce qui concernait Pomarèdes : croquis, chansons et récits, se vendait comme du petit pain.
Ainsi se termine l'histoire réelle de Jean Pomarèdes et vous remarquerez que les légendes qui circulent dans la région et même parfois sur le Web sont bien loin de la réalité !
Enfin, pour ceux qui s'interrogent sur le fameux "trou de Pomarèdes", que l'on trouve à la sortie de Béziers, sur l'ancienne route de Bessan, je suis au regret de vous informer qu'il n'a rien à voir avec Jean Pomarèdes :
il ne s'agit que de la conséquence de cette histoire - devenue légende - et qui engendra des dizaines de "trous de Pomarèdes" supposés abriter des trésors, dans notre région, après l'exécution de ce célèbre bandit.