Diverses légendes de la région de Béziers

Saint Nazaire et Saint Celse


Saint Nazaire et Saint Celse

 Notre cathédrale portant le nom de St Nazaire, il me semblait judicieux d'en conter la légende : Nazaire naquit à Rome durant le 1er siècle de notre ère, d'un père païen, nommé Africanus, et d'une pieuse mère nommée Perpétue, qui avait été baptisée par saint Pierre.

L'enfant répondit admirablement aux leçons maternelles et brilla par ses vertus précoces et son innocence. Parvenu à sa neuvième année, Nazaire fut sollicité par son père d'abandonner le christianisme; mais il préféra la vérité au mensonge, fut baptisé par saint Lin et devint un des plus fervents chrétiens de Rome.

Son père, irrité, employa la violence pour vaincre sa fermeté; mais, enfin, plein d'admiration pour ce fils, il lui fournit lui-même les moyens d'accomplir le projet hardi qu'il avait formé d'aller prêcher la foi.


Nazaire parcourut l'Italie, semant l'Évangile parmi les populations païennes et les édifiant par ses vertus. A Milan, son premier soin fut d'aller visiter les martyrs Gervais et Protais dans leur prison et de les fortifier dans la lutte par ses paroles.

 Saisi lui-même comme chrétien, il est cruellement flagellé et chassé de la ville. Près de Nice, il s'attache comme disciple un enfant nommé Celse, après l'avoir instruit et baptisé. Nazaire et Celse ne se séparent plus.

Les conversions se multiplient d'une manière étonnante; Nazaire est de nouveau soumis à de cruelles tortures, puis rendu à la liberté, à la condition de ne plus reparaître dans ce pays. 
Les deux saints jeunes gens remontent alors les Alpes, traversant sans se décourager d'immenses et solitaires forêts, des rochers inaccessibles, de rares villages où vivaient de pauvres idolâtres, et arrivent à Embrun, où leur zèle opère des prodiges de conversions. Vienne, Genève, Trèves entendent tour à tour leur voix, rendue éloquente par l'amour de Jésus-Christ. Les contradictions et la persécution donnent à leur prédication une fécondité nouvelle.

Condamnés à être noyés, ils marchent sur les ondes comme sur une terre ferme. Après cet éclatant miracle, Nazaire et Celse reprennent la route de Milan, où ils sont bientôt arrêtés comme chrétiens et zélateurs de la foi. A la lecture de la sentence de mort, ils se jettent, joyeux, dans les bras l'un de l'autre : "Quel bonheur pour nous, s'écrie Nazaire, de recevoir aujourd'hui la palme du martyre !
– Je vous rends grâces, ô mon Dieu, dit Celse, de ce que Vous voulez bien me recevoir, si jeune encore, dans Votre gloire." Ils sont alors conduits sur une place publique de Rome, où ils ont la tête tranchée, vers l'an 56 de l'ère chrétienne.

 Leurs tombes furent retrouvées par Saint Ambroise, qui décrivit l'état du corps non corrompu de Nazaire, "répandant une odeur merveilleuse, sans corruption et avec ses cheveux et sa barbe".

Abbé L. Jaud, Vie des Saints pour tous les jours de l'année, Tours, Mame, 1950.


La Galère des Caritats


 Durant de nombreuses années, les fêtes des Caritats offraient aux spectateurs, outre le défilé du Chameau, le spectacle de la Galère. Le bateau, monté sur roues, permettait d'entreposer les pains bénis ou autres denrées destinées à être envoyées à la foule lors du défilé. Il semblerait qu'il y eut même deux galères : le 29 décembre 1564 (d'autres affirment que c'était le 4 janvier suivant), Charles IX (qui avait 14ans), accompagné de sa mère, assistèrent devant la porte des Carmes au combat de 2 galères montées sur des roues.


 Elles étaient munies d'un ingénieux système qui les animaient d'un mouvement de tangage et de roulis. L'équipage était constitué d'hommes habillés en Turcs. En effet, la mode était, en cet hiver glacial, de porter des habits d'inspiration Turque et toute la cour en était pourvue (pantalons bouffants, turbans, robes chatoyantes garnies de vair, etc.).
 Interdite en 1661 par le clergé et malgré un procès perdu par la ville, elle ressortit en 1662. La galère fut incendiée dans la nuit du 2 au 3 mai 1663 et ne fut jamais reconstruite. C'est l'an 2000 qui vit sa résurrection grâce aux élèves du Lycée Mermoz.

Galère construite par le Lycée Mermoz

La Légende du Malpas


Tunnel du Malpas à Colombiers

 Nous connaissons tous ce fameux tunnel percé dans la montagne, entre Colombiers et Nissan.

Ce passage, creusé d'abord par les Romains pour assécher l'étang de Montady, fut agrandi sous les ordres de Riquet afin d'y faire passer le Canal du Midi. Son nom "Malpas" (mauvais passage) laisse supposer la difficulté de l'entreprise.


 Une légende est attachée à ce lieu : Un ermite, nommé Arthus, avait élu domicile dans la voûte. Cet ancien employé du chantier du canal y serait revenu après que sa femme, lasse de l'attendre, l'ait quitté. Lorsqu'il voyait approcher une péniche, il descendait un panier au bout d'une corde afin que les bâteliers lui offrent de quoi manger.

Toutefois, il ne s'agirait en fait que d'une plaisanterie des bâteliers : à chaque passage, ils demandaient au mousse du bateau de préparer un panier pour l'ermite et de crier haut et fort son nom afin qu'il récupère les victuailles. L'ermite ne répondant pas, l'équipage se partageait finalement le panier dans la bonne humeur.


Les Animaux "Totem"


Notre région possède plusieurs animaux "Totem". Le "Totem" c'est l'emblème qui protège le clan. J'ai déjà évoqué celui de Béziers, Lou Camel, mais il en est d'autres dont je vais vous parler :

- L'Ane de Bessan

Ane de Bessan

 On trouve deux origines pour cette légende :
 La première viendrait d'une foire aux ânes qui se tenait sur le chemin des Ânes. On élisait le plus bel âne : "l'ane désignat", qui était alors promené dans tous le village au son du hautbois.

La seconde version proviendrait du village de Gignac : Au VIIIème siècle, lors des invasions des Sarrasins, les habitants de Gignac furent prévenus de l'imminence d'un assaut grâce aux braiements d'un âne, leur permettant d'organiser la résistance et de sauver leur village.
Cependant, les assaillants prirent la bête et la jettèrent dans l'Hérault. Notre pauvre animal dériva jusqu'au village de Bessan où il fut recueilli, soigné et devint depuis l'animal fétiche des habitants. L'origine de cette dernière légende semble toutefois ne provenir que du début du XXème siècle.


- Le Poulain de Pézenas

le poulain de Pézenas

 En 1226, le roi Louis VIII fit étape à Pézenas. Outre sa troupe, il avait emmené avec lui une splendide jument qu'il affectionnait particulièrement. Malheureusement, l'animal tomba malade pendant son séjour et le Roi se résigna à la laisser aux soins des Piscinois lorsqu'il repartit.
A son retour, la jument apparut en pleine forme. En plus de cela, elle avait mis bas, entre-temps, d'un superbe poulain. Celui-ci fut présenté au Roi, la tête ornée de feuillages et de rubans.

 Le monarque, enchanté, décida alors de perpétuer l'évènement en proposant la construction d'un poulain de bois qui ferait partie de toutes les fêtes locales. La tradition se perpétue encore et l'on peut voir sur le dos du poulain une femme et un homme nommés : Estiennet et Estiennetto, en référence à une anecdote de 1622 : un maréchal galant avait pris en croupe sur son cheval une paysanne pour lui faire passer la Peyne, la rivière de Pézénas.


- La Chèvre de Montagnac

la chèvre de Montagnac

 Vers 1200, la femme du consul de Montagnac, Anne, souffre d'un mal étrange.
Aucun médecin n'arrive à trouver et soigner son mal. Survient alors, dans le village, un homme vêtu de haillons et accompagné d'une jolie chèvre blanche.
L'homme étonne par sa joie de vivre et son allégresse.

 Les villageois, intrigués, lui demandent l'origine de cette bonne humeur. "Je possède un secret qui donne la joie et la santé", s'exclame t-il. La nouvelle est aussitôt rapportée à Jacou le Consul. Celui-ci promet alors une grosse récompense à l'étranger en échange de son secret. "Ma chèvre possède un lait magique", dit le paillous; "je veux bien vous céder ma cabreta, mais il vous faudra la nourrir de sarments et de raisins pour que son lait garde ses vertus".

 L'affaire fut conclue et, après que la belle Anne eut consommé ce lait miraculeux, elle se rétablit promptement, rendant la joie à son mari et à tous les villageois.


- L'Hérisson de Roujan : "Lou Roumégaïre"

Sainte Marthe exorcisant la Tarasque

 La légende raconte que Sainte Marthe, partie à la poursuite de la Tarasque qui semait la terreur dans la Basse Vallée du Rhône, leva une armée de hérissons pour combattre le monstre et protéger le village. Mais la Tarasque ne vint pas et les hérissons furent autorisés à rentrer dans leurs quartiers.
Seul l'un d'entre-eux décida de rester au village où il fut nourri et choyé par les habitants qui en firent leur animal fétiche.

 Si l'épopée de Sainte Marthe contre la Tarasque se situe dans les années 48 à 68 du début de notre ère, il semble que l'origine de la légende de Roujan soit plus tardive : Elle semble être issue d'un évènement survenu au moyen-age dont voici l'histoire :

 Autour de l'an mille, le consul de Roujan avait offert le couvert et le logis à un étranger qu'il avait rencontré sur les bords du ruisseau de l’Oum. Hors, il s'avéra que cet étranger n'était qu'un espion à la solde de pillards qui écumaient la région.


 Profitant de son intrusion dans l'enceinte du village, il avait posé, toute la journée, de nombreuses questions sur la défense des lieux, sur les rondes des soldats, sur l'armement des villageois, etc. La nuit venue, furtivement, l'étranger se leva dans le but de quitter le village afin d'avertir ses comparses qui se préparaient à l'attaque.

 Malencontreusement, notre homme met le pied sur un hérisson qui s'était échappé de sa cage. En ces temps anciens, il était de coutume de capturer des hérissons dont la chair constituait un repas de choix. L'espion se met donc à crier et à râler ("rouméguer" en patois, d'où le nom de "roumégaïre").


 Ces cris alertent le consul qui se lève et se rend compte que l'homme s'est enfui. Prévoyant les évènements à venir, il alerte les gardes et met le village en alerte. Ainsi, au petit jour, quand la bande de brigands se présente devant les fortifications, tous les Roujanais sont présents, les armes au poing. L'effet de surprise tombant donc à l'eau, les brigands abandonnent leurs projets funestes et s'enfuient dans la campagne, à la grande joie des villageois.

  Ainsi, plus tard, quand le consul contait cette histoire, il disait : « O roumégat et mé sio i lébat ! ». Les uns y voyaient une référence à l'étranger, les autres à l'hérisson et c'est ce dernier qui perdura au fil des siècles !


- La Grenouille de Lieuran-lès-Béziers

(Texte de la légende récupéré sur le site lieuran-les-beziers.blogspot.fr)

 En 1694, selon la légende sous Louis XIV, règne une épouvantable famine, les récoltes sont désastreuses, les routes envahies de mendiants et de protestants en fuite, les épidémies se propagent.

Le village de Lieuran n’échappe pas à ces calamités. Les seuls recours sont la prière et les pèlerinages.
Un jour, un orage d’une rare violence éclate. Les villageois, devant les bruits effroyables, croient encore à un châtiment divin et sortent de l’église.

Les légendes l’avaient dit, mais là, ils le voyaient de leurs yeux : mêlées aux gouttes de pluies, des millions de petites rainettes (grenouilles) tombent du ciel partout sur les toits, les rues, les jardins et les vignes. Apportant nourriture, réconfort aux Lieurannais affamés, mais aussi convoitise et jalousie des villages voisins qui surnomment les habitants de Lieuran-les-Béziers, « Los Beca-ranetas » ou « Los beco ranas » (les mange-rainettes). .


La Sorcière de Narbonne

Sorcière

 Il y avait jadis, à Narbonne, une très jolie fille qui habitait seule au lieu-dit "Les Tuileries", non loin de la porte de Perpignan. Elle était si jolie que plus d'un prétendant avait essayé, en vain, de la demander en mariage. Cependant, elle avait toujours refusé, prétextant qu'à 20 ans, elle était trop jeune pour des épousailles.


 Mais un jour, elle rencontra un beau jeune homme, riche de surcroît, qui venait juste de s'installer, avec sa famille, à Narbonne.

 Les deux jouvenceaux se plurent immédiatement, s'aimèrent et se marièrent.
 Les premiers temps, leur bonheur semblait sans faille et nos deux tourtereaux rayonnaient d'amour.

 Quelques temps plus tard, une nuit, le marié se réveilla et s'étonna de ne pas voir sa femme dans le lit conjugal. Lorsqu'elle réapparut, il lui demanda :
- Où es-tu allée ?
- Je suis somnambule : je me lève souvent sans le savoir et je me retrouve parfois en pleine campagne.

 La nuit suivante, le marié se réveilla à nouveau et constata que sa femme avait encore disparu. Il devint alors méfiant et comme, dans les jours qui suivirent, il souffrit d'une forte migraine, il suspecta sa femme de lui faire boire quelques breuvages, dans le but de l'endormir profondément.

 Il remarqua que son épouse, quoique bien portante, se contentait d'un simple verre d'eau au cours des repas. A chacunes de ses tentatives pour la faire manger, elle répondait :
- Je n'ai pas faim.
- Mais comment fais-tu pour ne pas maigrir tout en ne mangeant pas ?
- C'est ma corpulence, disait-elle, le peu de nourriture que j'avale me profite !

 Devenant de plus en plus méfiant, le mari décida, le soir suivant, de ne rien avaler ni boire. Au cours du repas, dès qu'elle eut le dos tourné, il vida son verre de vin par terre et jetta son repas dans la cheminée.

 Puis, prétextant une grosse fatigue, il invita sa femme à aller se coucher. Il se mit à ronfler si fort que sa femme pensa qu'il s'était plongé dans un profond sommeil et qu'elle pouvait enfin partir. Elle se mit à califourchon sur le balai de la cuisine et prononça ces étranges parole :
 « Pied sur feuille, passe par la cheminée ! ».

 Le balai commença à s'élever dans les airs, au grand effroi du mari qui surveillait la scène du coin de l'oeil. A peine avait-elle franchi la porte, qu'il enfila son caleçon et entreprit de la suivre. La direction qu'elle prit mena notre homme vers le cimetière tout proche


Sorcière
Sorcière

 Arrivé sur les lieux, il se dissimula derrière les buissons pour observer la scène effroyable qui se déroulait devant lui : une vingtaine de sorcières dansaient autour d'une tombe fraichement creusée.
D'autres se disputaient les membres du défunt qu'elles venaient de faire bouillir dans leur chaudron.


 Terrorisé mais aussi le cœur brisé, notre homme décida de retourner chez lui et d'attendre le retour de sa femme. Il se coucha et, trois heures plus tard, sa femme revint en se glissant discrètement dans le lit.

 Il réussit à contenir sa rage tout le jour suivant mais, le soir venu, il ne put retenir sa colère quand elle refusa à nouveau de manger :
-Ah coquine ! hier soir je t'ai suivi jusqu'au cimetière et je sais à présent qui tu es vraiment !
 La sorcière, imperturbable, le fixa d'un regard noir et répondit :
- Ainsi tu m'as vu; tu as vu ce qu'aucun mortel n'a le droit de voir mais dès à présent, tu ne me verras plus jamais avec le regard d'un homme !


 Elle prononça sur lui quelques paroles magiques et aussitôt notre pauvre homme fut transformé en chien ! Puis elle prit le balai et chassa notre malheureux hors de la maison.
 «Quel malheur d'avoir épousé une sorcière; me voilà dans le plus pitoyable des états !», pensa t-il. Il courrut vers la maison des voisins, vers les gens qu'il connaissait, mais à chaque fois, il se faisait repousser.
- Va-t'en chien errant, va porter tes puces ailleurs, on n'a pas besoin de toi ! disaient-ils.


 Pendant plusieurs jours il se mit donc à errer ici et là, tentant de trouver de quoi se remplir le ventre. Mais chaque fois qu'il trouvait un os à ronger, d'autres chiens, plus aguerris, lui tombaient dessus, lui dérobant le précieux repas. Affamé, épuisé et déprimé il déambulait dans les rues de la ville quand une boulangère le remarqua :
- Quel joli petit chien ! tu me serais bien utile pour garder ma boulangerie ! veux-tu venir avec moi ? je vais te donner quelque chose à grignoter.

 Evidemment il ne se fit pas prier et, la queue frétillante, se mit à suivre cette brave femme. Elle lui donna à manger, le lava et l'installa devant la cheminée où il put enfin dormir paisiblement.


 Le lendemain, reconnaissant, il mit tout en œuvre pour aider la gentille boulangère : il faisait tout ce qu'on lui demandait, ouvrait et fermait la porte aux clients, surveillait les éventuels voleurs et leur grognait quand cela s'avérait nécessaire. Grâce à son ouie devenue très fine, il était capable de reconnaître les fausses pièces des vraies rien qu'en les entendant tinter. De nombreuses fois, il avait déjoué les plans de petits malins qui essayaient de couilloner sa maîtresse.

boulangerie

 Cette particularité vint un jour aux oreilles d'une vieille femme qui avait la réputation d'être guérisseuse. Elle se présenta à la boulangerie et, voyant l'habileté du chien s'exclama :

« Mais ce chien est humain ! il ne peut en être autrement : on a du lui jeter un sort ! ».

 Ceci dit, elle sortit de dessous ses jupons une fiole contenant un liquide étrange et en aspergea notre canidé de la tête à la queue. Aussitôt le chien redevint homme et embrassa longuement la vieille femme ainsi que sa bienfaitrice. Les effusions passées, il raconta en détail son histoire et comment il avait été transformé.


Sorcière

 - A présent, tu dois faire très attention, dit la vieille femme, si ton épouse se rend compte que tu es redevenu humain, elle peut te transformer à nouveau. Imagines qu'elle te change en crapaud ou en vers luisant ! Prends cette fiole et gardes-la sur toi. Dès que tu verras ta femme, lances son contenu sur elle, sans perdre de temps, et ce coup-ci, se sera toi qui la changera en bête. Tu n'auras qu'à prononcer le nom de l'animal que tu souhaites.
 Notre homme remercia encore longuement ses deux amies et, un peu avant minuit, retourna chez lui. Il se dissimula derrière la porte d'entrée pour surprendre sa femme à son retour du sabbat. Quand celle-ci arriva, elle eut à peine le temps de franchir le seuil que déjà elle était aspergée du liquide magique.
- Que tu sois cavale ! dit l'homme.
 Aussitôt dit aussitôt fait : le femme se transforma en jument. Notre homme prit un fouet et lui donna une volée de coups si forts que la jument n'eut plus la force de partir.
Le lendemain, il vendit la bête au "poubellaïre" de la ville et, depuis, c'est elle qui en ramasse les ordures.


La Fée de Moujan


 Autour des années 1200, au hameau de Moujan, près de Narbonne, était un dénommé Jean Bistan. Notre homme avait pour habitude, sur le chemin de sa vigne, de s'arrêter boire à une fontaine, encore visible de nos jours, dont l'eau était si claire et si fraîche qu'il s'en délectait avec délice.


 Au cours des étés les plus chauds, l'ombre des grands platanes, qui bordaient la fontaine, lui apportait un peu de fraicheur et le revigorait pour reprendre le travail. Le soir, en rentrant, Jean ne manquait jamais de s'y arrêter pour faire un brin de toilette et retirer la poussière accumulée durant ses longues heures de labeur.
Un soir qu'il revenait, harassé de fatigue, il s'approcha du gargouillis familier et s'assit dans l'herbe tendre afin de profiter de cet instant de repos quotidien.

 Pourtant, ce jour là, quelque chose semblait différent : seul le bruit de l'eau était audible, mais aucun grillon, aucune cigale, aucun oiseau ne chantait. Même les feuilles des platanes, ébourrifées par la brise du soir, ne produisaient aucun son.
 Surpris notre ami Jean leva la tête et remarqua une forme allongée près de la fontaine. Il se leva, et constata qu'il sagissait d'une très belle jeune fille endormie, toute vêtue de dentelle blanche, aussi belle qu'une princesse ! Sa main effleurait l'onde de façon si délicate qu'il s'en trouva ému.

paysan

 Il reprit très vite ses esprits et se souvint des histoires merveilleuses que lui contaient ses parents, le soir au coin du feu, lorsqu'il était enfant. Il n'y avait plus aucun doute : ce ne pouvait être qu'une fée, une Mitoune comme on disait au pays ! Malgré sa fatigue, il s'approcha d'elle sans bruit et, souple comme un chat, se jeta sur la jeune fille qu'il maintint prisonnière.

Fée

 Elle s'éveilla brusquement, poussant un cri de détresse et tentant de se libérer en se débattant. Jean la serra encore plus fort, l'empêchant de faire le moindre mouvement.


- Belle fée, lui dit-il, n'aie crainte, je ne te ferai pas de mal mais tu es ma prisonnière. Je ne te relacherai que si tu promets de faire de moi l'homme le plus riche du pays. Je veux les plus belles vignes donnant le meilleur des vins. Je veux aussi une grande maison avec seize fenêtres en façade puis une demi-douzaine de chevaux ainsi que leur carrioles.

- Relache ton étreinte, se plaignit la fée, tu m'étouffes, si tu continues, je ne pourrai plus rien faire du tout. Est-ce cela que tu veux ?


 Notre homme réalisa qu'il y avait été un peu fort et dessera un peu sa prise en maintenant malgré tout les bras de la belle : il ne voulait quand même pas laisser passer cette occasion inespérée et tant que la fée n'avait pas promis, il était bien déterminé à ne pas la relacher.

- Je te promet, encore une fois, de ne pas te faire de mal; jure-moi que tu exaucera mes souhaits et je te libère illico ! La Mitone, comprenant que c'était la seule façon pour elle de retrouver sa liberté accepta :

- Laisse-moi aller et dès que je serai au palais de mes compagnes je m'occuperai de toi. Ne t'attends-pas à devenir riche du jour au lendemain, mais je tiendrai parole : tu auras ce que tu as demandé : je te le promets.

- C'est d'accord, dit Jean, je te fais confiance. Et il la relacha immédiatement.


 La fée, soulagée, frotta ses bras meurtris par l'étreinte, arranga gracieusement sa robe de dentelle, sa longue chevelure dorée, but une gorgée d'eau fraîche et disparut sans bruit dans la pénombre. Aussitôt les cigales et les oiseaux se remirent à chanter, le souffle du vent, au travers des feuillages, redevint audible et quelques grillons entamèrent leur concert nocturne.

 A son tour, Jean, encore sous l'émotion, se rassasiat d'eau fraîche en se demandant s'il n'avait pas révé, puis s'en retourna vers sa pauvre maisonnette le coeur empli de joie et d'espoirs. Le lendemain, il retourna, comme à l'accoutumée, dans sa vigne. Il constata que la terre était souple, qu'il y avait moins de pierres et que les grains de raisin semblaient gorgés de nectar. La récolte fut précoce et étonnement fructueuse : jamais ses vignes n'avaient autant produit. Le vin qu'il en tira fut un cru exceptionnel, si bon que les gens venaient de partout pour lui en acheter au prix le plus fort.


 Le phénomène se reproduisit l'année suivante, puis l'année d'après, puis toutes les autres années. Il put acheter de nouvelles vignes qui, elles aussi, produisirent à profusion un breuvage digne des dieux. Sa fortune grandissant, il s'acheta la maison de ses rêves, de nombreux chevaux, de nombreuses charettes.

 Il s'arrêtait, malgré tout, tous les jours à la fontaine, bénissant le jour où il avait rencontré cette superbe créature. Il conta un jour son histoire à l'évêque du pays, mais celui-ci eut bien du mal à le croire. Plus tard, notre homme investit dans le commerce maritime où, encore une fois, sa réussite fut fulgurante.

 En 1204, sans doute en remerciement de la chance qui l'avait touché, il fit don d'une de ses propriétés, le "domaine des Olieux", aux moines de Fontfroide. La seule condition qu'il posa fut que ces religieux y établissent un monastère Cistercien de femmes, certainement en hommage à la belle Mitoune qui lui avait apporté bonheur et prospérité.


Le Maire de Faugères


 Au temps jadis, dans le village de Faugères, on pouvait trouver autant de Catholiques que de Protestants. Cela ne posait aucun problème dans la vie de tous les jours mais, au moment des élections municipales, il en était tout autrement : En effet, il n'y avait pas de liste droite, gauche, monarchiste, radical ou réactionnaire, mais uniquement les Papistes (Catholiques) et les Parpaillots (Protestants).


 Au moment des élections, chaque groupe se débrouillait pour avoir le même nombre de voix que le camps opposé et cela posait de nombreux problèmes pour déterminer le choix d'un maire. Aucune solution n'avait été trouvée et les tentatives d'alterner un maire Catholique avec un maire Protestant, chaque semaine, avaient été refusées par le sous-préfet de Béziers : il fallait un maire pour six ans et les lois de la République devaient s'appliquer à tous, même à Faugères.


 Les débats devenant de plus en plus enflammés, il fallait trouver une solution et ce fut le chef de gare qui en proposa une :

- L'express de Montpellier s'arrête ici tous les jours pour faire le plein d'eau. Interrogeons un voyageur, pris au hasard, dans le wagon des premières classe et jurons de lui obéir.

  Tout le monde jura et, le lendemain, le village entier attendit l'arrivée du train. Un seul passager occupait les premières classes. C'était un petit homme rieur, à l'accent Parisien, qui voulut bien se soumettre à la question :

- Messieurs, dit-il amusé par la demande, il n'y a qu'un moyen pour vous mettre d'accord : demandez au plus vigoureux de vos jeunes hommes de lancer une pomme sur la route et le premier d'entre-vous qui la rattrape sera nommé maire.


 Le train repartit et les villageois convinrent que l'idée n'était pas si bête. Aussi, ils décidèrent d'organiser l'épreuve sur la route de Béziers, le dimanche suivant. Le jour venu, les candidats des deux listes se mirent en ligne, prêts à bondir, et un jeune homme lança la pomme de toutes ses forces sur la route. Papistes et Parpaillots se ruèrent à sa poursuite mais un cochon, qui sortait d'on ne sait où, se saisit du fruit et l'avala illico presto. Ce fut la consternation parmi la foule. Cependant, une voix s'éleva au milieu du silence :


cochon

- Vive monsieur le cochon ! Vive monsieur le maire !

 Au premier abord, les villageois furent surpris, voire stupéfaits. Mais l'idée faisant son chemin, tout le monde applaudit. Seul le vieux Sampastous, le propriétaire du cochon, protesta :


- C'est mon cochon et j'ai bien l'intention de le transformer en saucisses et jambons pour Noël, qu'il soit maire ou pas !

- On te paiera ton cochon, répliquèrent les autres, ne t'inquiètes pas pour ça.

 Ainsi, on trouva dans les caisses de la mairie de quoi payer le cochon et pourvoir à son entretien. Le secrétaire de mairie, Frayssinous, rédigea le procès-verbal d'installation qu'il transmit par courrier au sous-préfet. Celui-ci ne s'étonna qu'à peine qu'un monsieur "Le Cochon" fusse désigné comme maire, trop content que le différent soit enfin réglé.

 Tout se déroula donc normalement : Cardinous le Parpaillot et Lesparrous le Papiste furent désignés comme adjoints du cochon, se partageant équitablement le travail. Le maire, trop bien nourri, devint énorme.
 A l'approche des fêtes de Noël, ses conseillers municipaux commencèrent à le regarder avec gourmandise :


- Il est si gros qu'il va finir par tomber raide mort, s'exclamèrent les conseillers. Ce serait bien dommage... Faisons de lui du boudin et des saucisses et remplaçons-le par un autre cochon !

 Le vote fut soumis au conseil municipal le soir même et la décision fut prise de remplacer le cochon. L'ancien maire fut débité en parts égales et chacun eut droit à son morceau.


 Ainsi, pendant encore de longues années, c'est un monsieur "Le Cochon" qui obtint tous les suffrages à chaque élection municipale, mais aucun des membres du conseil n'eut le courage d'avouer au sous-préfet que le maire se faisait dévorer à chaque Noël !

cochon