"Dieu reconnaîtra les siens"

Auteur inconnu (Béziers le 22 juillet 1209)

Femme... Prends nos enfants - le feu est à nos trousses
Béziers est un enfer parcouru de longues flammes rousses
Ma mie... Sois raisonnable... abandonne ton linge de soie
Saisis-moi par la main... vers la cathédrale je guiderai tes pas.

Femme... aie confiance en Dieu... quitte cet air éperdu
Tu effarouches notre fils... De cette fuite dans les rues il est déjà tout fourbu
Ma mie... relève la tete... ne regarde pas par les chemins...
Ceux qui s'y sont aventurés sont tombés sous les coups des assassins.

Femme... aie du courage, des croisés je te protégerai
Viens... Cours plus vite... Montfort arrive... Notre salut est là tout près...
Dans mes bras solides je serre notre dernière née
Crois-moi mon aimée... rien de fâcheux ne peut nous arriver.

Femme... ensemble poussons la porte de l'église romane
Pour sauver le petit ne te retourne donc pas vers ces êtres infâmes
Ma mie... cesse ce cri affreux qui me cloue de souffrance
Ne meurs pas ma douce... Retire la lance qui déchire tes entrailles.

Femme... pour toi et le bambin je ne puis plus rien
Dieu a fermé vos yeux... à jamais. Il vous a accueillis dans la douceur de son Ciel
Anéanti, j'entends notre fille vagir... Un démon me l'a arrachée
Et dans l'église comble c'est seul et désespéré que j'entre désormais.

Tout près de moi un enfant cathare dans un coin s'est assis
En quoi est-il différent du Chrétien que je suis ?
Comme moi son coeur saigne pour les siens massacrés
"Plutôt être noyé dans la grande mer salée" que de livrer aux soudards ce petit rescapé.

De ses veux limpides il cherche une Parfaite...
La trouve près de la nef, un profond salut lui adresse
Mains jointes il reçoit sa bénédiction... prononce les paroles rituelles...
Le "consolament" lui est aussitôt accordé, sacrement unique et suprême.

Enfant... ne te résigne pas aussi facilement à la misère
Les renforts de Messire de Trencavel arriveront... Nous survivrons à la fournaise,
Petit, ne hôche point ta jeune tête ainsi
Espère encore... avec ferveur accroche-toi à la vie !

- Messire... votre confiance ne puis partager... L'évêque Montpeyroux nous a trahis...
Des ribauds ont forcé nos portes, armés de bâtons et de couteaux ils se livrent aux pires tueries,
Messire... Ecoutez... Percevez-vous au-dehors la forte voix d'Arnaud-Amaury ?
Ordre est donné de nous tous exterminer fussions-nous chrétiens ou impies.

- Petit... Que fais-tu donc ?... Rentre cette dague qui offense mes yeux,
A ta vie tu ne peux attenter sans encourir le courroux de Dieu.
Monte sur mes épaules... Oublie cette idée folle. je te prie
Puisqu'il nous faut mourir... c'est ensemble que nous monterons au Paradis,

- Messire... la cathédrale n'est plus qu'un immense brasier
Laissez-moi me donner la mort, ma religion me le permet
Le feu lèche déjà mes pieds, mes mollets,
Ce que je veux tenter n'est point mal... Pour vous Chrétien ce serait un mortel péché.

- Petit... Regarde le bel édifice construit par Maître Gervais
Par le milieu il se fend... Sur nous il va s'écrouler
Prends donc ta dague... Agis comme il te plaît
Perce ton pauvre flanc si cela t'agrée...

- Messire... Messire... Il ne faut point m'en vouloir
C'est ainsi que j'ai choisi de mourir... dignement...
Messire... Serrez-moi fort dans vos bras...
Peu à peu je m'éteins... pardon... sur vous coule mon sang.

- Petit... petit... pour toi tout est fini
Vers la lumière divine ton âme s'est enfuie
Tu ne verras point l'église s'effondrer en deux pans
Chrétiens... Cathares... Juifs périront avec moi...
Que Dieu dans sa mansuétude infinie sans distinction aucune pour Siens reconnaîtra.

Ainsi se termina le "Grand Mazel", la grande boucherie
Vingt mille victimes de l'Intolérence y laissèrent leur vie,
Sur les ruines fumantes, une magnifique cathédrale gothique fut bâtie...
Lieu de pèlerinage que des milliers de mains respectueuses effleurent encore aujourd'hui...
Pierres noirâtres... témoins indifférents d'une cruelle barbarie.

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 Diatribe du troubadour toulousain
Guilhem Figueira

 

 "Rome, aux pauvres gens vous rongez sang et os,
Vous guidez les aveugles avec vous dans la fosse,
Vous ignorez les lois de Dieu, car trop est grosse
Votre cupidité
Car vous pardonnez ...
Péchés contre monnaie. Rome, votre négoce
Est un sac de péchés.

Rome, le mal de vous est bien facile à dire :
Par moquerie vous jetez chrétiens au martyre.
En quel livre est-il dit que vous devez occire ?
O Rome, les chrétiens !
Dieu, qui est notre pain
Quotidien, m'accorde tout ce que je désire
De mal pour les Romains.

Rome, que Dieu vienne en aide et donne puissance
A Raimond qui écorche et qui tond ceux de France
Et les foule à ses pieds quand contre eux il s'élance :
Ceci me plût très fort.
Rome, de vos grands torts
Dieu se souvienne et - s'il lui plaît - le comte ait chance
Contre vous et la mort.

Rome, pour argent faites maintes vilenies,
Vous faites bien du tort et bien des félonies,
Vous voulez tant du monde avoir la seigneurie
Que vous ne craignez point
Dieu notre souverain.
Vous faites plus de mal que je ne pourrais dire,
Dix fois plus pour le moins !

Rome, tant vous serez étroit dans votre patte,
Que ce que vous tenez jamais ne vous échappe.
Si bientôt ne perdez pouvoir, dans une trappe
Monde sera piégé,
Et mort et vaincu.
Le mérite est détruit : - Rome de votre pape
Voici donc les venus ?

Rome, à votre sujet bien souvent on murmure
Que s'enfuit le bon sens par un trou de tonsure.
Je crois donc fermement qu'il faudrait qu'on récure
Aussi votre cerveau
Au bien vilain chapeau.
Car fîtes à Béziers sanglante boucherie
Avec ceux de Cîteaux .

Rome, votre filet vous savez bien le tendre,
Coeur de loup affamé,
Et de serpent mitré,
Les vipères et le diable se lient dans votre chambre
D'infernale amitié."

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