Femme... Prends nos enfants - le feu est à nos
trousses Béziers est un enfer parcouru de longues flammes rousses Ma mie... Sois raisonnable... abandonne ton linge de soie Saisis-moi par la main... vers la cathédrale je guiderai tes pas.
Femme... aie confiance en Dieu... quitte cet air éperdu Tu effarouches notre fils... De cette fuite dans les rues il est déjà tout fourbu Ma mie... relève la tete... ne regarde pas par les chemins... Ceux qui s'y sont aventurés sont tombés sous les coups des assassins.
Femme... aie du courage, des croisés je te protégerai Viens... Cours plus vite... Montfort arrive... Notre salut est là tout près... Dans mes bras solides je serre notre dernière née Crois-moi mon aimée... rien de fâcheux ne peut nous arriver.
Femme... ensemble poussons la porte de l'église romane Pour sauver le petit ne te retourne donc pas vers ces êtres infâmes Ma mie... cesse ce cri affreux qui me cloue de souffrance Ne meurs pas ma douce... Retire la lance qui déchire tes entrailles.
Femme... pour toi et le bambin je ne puis plus rien Dieu a fermé vos yeux... à jamais. Il vous a accueillis dans la douceur de son Ciel Anéanti, j'entends notre fille vagir... Un démon me l'a arrachée Et dans l'église comble c'est seul et désespéré que j'entre désormais.
Tout près de moi un enfant cathare dans un coin s'est assis En quoi est-il différent du Chrétien que je suis ? Comme moi son coeur saigne pour les siens massacrés "Plutôt être noyé dans la grande mer salée" que de livrer aux soudards ce petit rescapé.
De ses veux limpides il cherche une Parfaite... La trouve près de la nef, un profond salut lui adresse Mains jointes il reçoit sa bénédiction... prononce les paroles rituelles... Le "consolament" lui est aussitôt accordé, sacrement unique et suprême.
Enfant... ne te résigne pas aussi facilement à
la misère Les renforts de Messire de Trencavel arriveront... Nous survivrons à la fournaise, Petit, ne hôche point ta jeune tête ainsi Espère encore... avec ferveur accroche-toi à la vie !
- Messire... votre confiance ne puis partager...
L'évêque Montpeyroux nous a trahis... Des ribauds ont forcé nos
portes, armés de bâtons et de couteaux ils se livrent aux pires
tueries, Messire... Ecoutez... Percevez-vous au-dehors la forte
voix d'Arnaud-Amaury ? Ordre est donné de nous tous exterminer
fussions-nous chrétiens ou impies.
- Petit... Que fais-tu donc ?... Rentre cette
dague qui offense mes yeux, A ta vie tu ne peux attenter sans
encourir le courroux de Dieu. Monte sur mes épaules... Oublie
cette idée folle. je te prie Puisqu'il nous faut mourir... c'est
ensemble que nous monterons au Paradis,
- Messire... la cathédrale n'est plus qu'un immense
brasier Laissez-moi me donner la mort, ma religion me le permet Le feu lèche déjà mes pieds, mes mollets, Ce que je veux tenter n'est point mal... Pour vous Chrétien ce serait un mortel péché.
- Petit... Regarde le bel édifice construit par
Maître Gervais Par le milieu il se fend... Sur nous il va s'écrouler Prends donc ta dague... Agis comme il te plaît Perce ton pauvre flanc si cela t'agrée...
- Messire... Messire... Il ne faut point m'en
vouloir C'est ainsi que j'ai choisi de mourir... dignement... Messire... Serrez-moi fort dans vos bras... Peu à peu je m'éteins... pardon... sur vous coule mon sang.
- Petit... petit... pour toi tout est fini Vers
la lumière divine ton âme s'est enfuie Tu ne verras point l'église
s'effondrer en deux pans Chrétiens... Cathares... Juifs périront
avec moi... Que Dieu dans sa mansuétude infinie sans distinction
aucune pour Siens reconnaîtra.
Ainsi se termina le "Grand Mazel", la
grande boucherie Vingt mille victimes de l'Intolérence y laissèrent
leur vie, Sur les ruines fumantes, une magnifique cathédrale
gothique fut bâtie... Lieu de pèlerinage que des milliers de
mains respectueuses effleurent encore aujourd'hui... Pierres
noirâtres... témoins indifférents d'une cruelle barbarie.
|